Les Confessions d'un Prof Maudit

21.9.06

Journal de Prendre-le-Bord

Bon, je vous jure, c’est la dernière fois que j’en parle. Il va bien falloir que je finisse par passer par-dessus. Mais comme vous avez été plusieurs – par commentaires ou par courriels – à ne pas bien saisir comment on a pu me forcer, voici un calendrier des événements.

début juin 2006
Les parents et les élèves font pression sur Le Général (i.e. la directrice) afin que Prof Maudit puisse rester à l’école l’année suivante.

mi-juin 2006
Le Général informe Prof Maudit que Prof Bien Portante (i.e. nouvelle maman sur fin de congé de maternité) ne reviendra qu’à deux jours par semaine, soit 40% de la tâche. Pour prendre une chance de me garder à l’école, elle mettra Prof Bien portante à 20% dans la classe de Concubine Première (collègue et épouse spirituelle de votre très dévoué) et à 20% dans la classe de Sœur Marie Anne (autre collègue à vocation; et là, on peut vraiment parler de «vocation»!), c’est deux titulaires prenant un «4 jours/semaine». Le Général poursuit en expliquant à Prof Maudit qu’elle n’a pas à mettre les 20% séparément à l’affichage des contrats (i.e. l’abattoir) si elle les propose distinctement car il représente alors moins de 100 jours de travail, règle essentielle à la mise sous contrat. Elle les garde donc pour Prof Maudit et ne mettra que le 60% restant de la tâche de Prof Bien Portante sous contrat. Comme les enseignants à statut précaire cherchent idéalement une tâche pleine, si Prof Maudit est chanceux, il pourra mettre la main sur ledit contrat. En bout de ligne : 60% de Prof Bien Portante + [(20% de l’une + 20% de l’autre) <-> 40% de Prof Bien Portante] = 100%.

(Si ici vous êtes déjà perdu, pas la peine de continuer. Retenez seulement que c’était compliqué. Si vous tenez absolument à comprendre, faites comme je dis à mes élèves : «Explique-toi le avec un dessin.» Ça marche presque à tous les coups!)

fin juin 2006
Coup de théâtre à l’affichage. Grosse Vache lui pique son 60% chéri sous le nez. Dégoûté et abattu, Prof Maudit quitte sans prendre de contrat, en espérant que Le Général puisse faire quelque chose pour lui étant donné que Grosse Vache est en congé de maternité. Il faudra bien quelqu’un pour la remplacer, elle, en septembre.

début juillet 2006
Le Général communique avec Prof Maudit. C’est gagné! Elle peut lui offrir le contrat de remplacement, sans passer par l’affichage, puisque Grosse Vache prévoit revenir en classe au début de mars. 60% du temps d’enseignement entre septembre et mars cumulant moins de 100 jours de travail, Le Général est libre de choisir le suppléant de son choix. Ne reste qu’à souhaiter que Grosse Vache développe un lien fusionnel suffisamment intense avec son nouveau-né pour décider de ne pas revenir en classe les 4 mois restants.

24 août 2006
Rentrée des enseignants. Prof maudit est tout heureux.

29 août 2006
Rentrée des élèves. Prof Maudit, les parents et surtout les élèves, jubilent. On a préparé une fête pour Prof Maudit avec des ballons, un énorme gâteau et les élèves lui ont composé une chanson. (Quoi? J’invente? Pffff! Qu’ess’ vous en savez? …Bon Ok, d’abord. Z’étaient juste bien heureux. Content, là?)

7 septembre 2006
Prof Maudit signe ses premiers contrats à la commission scolaire. Le 20% de l’une et le 20% de l’autre, mais en échange dans le 40% de Prof Bien Portante.

18 septembre 2006
Prof Maudit est convoqué par la commission scolaire à l’affichage des postes permanents.

19 septembre 2006
Prof Maudit est présent et attend d’entrer dans l’abattoir. Il est là à 17h30 pour une convocation à 18h00. Il ne le sait pas encore, mais il attendra jusqu’à 20h15 pour qu’on fasse entrer le troupeau. En attendant, Prof Maudit discute avec d’autres bovidés et, après avoir dit régulièrement pendant deux heures à quelques bêtes indécises que «En éducation, il faut choisir avec son cœur», il se confirme sa position : il ne quittera pas son contrat.
Dix minutes après que les futurs steaks soient entrés, Grosse Vache est appelée à la table de placement. Grosse Vache choisit un poste. Prof Maudit se trémousse. Car s’il comprend bien, comme Grosse Vache prend un poste permanent, elle libère le contrat actuel. Il pourrait donc finir l’année. À 20h40, Prof Maudit comprend qu’il n’a rien compris du tout.

Ainsi, et comme l’explique clairement Prof Malgré Tout, Prof Maudit n’est pas lié au contrat de remplacement du poste, mais bien au contrat de remplacement du remplacement du poste. Autrement dit, il remplace Grosse Vache peu importe où elle se trouve. Il doit donc quitter ses élèves et la suivre dans son poste choisi.

Prof Maudit commence à avoir chaud et fait pédaler son cerveau. Il pense avoir trouvé l’argument massue : comme il a déjà signé 40% du contrat, il ne peut la suivre dans une tâche permanente à 100% puisqu’un contrat signé, c’est du ciment de qualité.

Quizzical look de la Pédante Syndicale. Elle appelle à la rescousse Chien-de-Garde Patronal. Messes basses de bouchers, puis : effectivement, Prof Maudit est délié de Grosse Vache. (phew!)
Fier pet, Prof Maudit s’apprête à quitter sans prendre de poste. Le Général n’aura qu’à lui donner le 60%. Tut-tut-tut fait la Pédante Syndicale. Le 60% initial était de septembre à mars et comptait moins de 100 jours de travail. Or, comme Grosse Vache n’a plus ce contrat, le 60% est maintenant de septembre à juin et cumule plus de 100 jours de travail. Il doit donc être offert par ordre de liste prioritaire.
- Pas grave, qu’il répond, le Prof Maudit. Comme il est parmi les premiers et que c’est un 60%, il n’a qu’à prendre la même chance qu’il avait prise en juin. Comme tous les autres de la liste avant lui sont placés, on le lui proposera rapidement.
Devant sa mine heureuse, Chien-de-Garde Patronal ne se garde pas de lui noircir le tableau. Car si Prof Maudit refuse un poste permanent ce soir, il sera radié de la liste pour un an et ne sera donc pas appelé pour qu’on lui offre le 60%. Il ne se retrouvera donc qu’avec son 40% et peu de chance de faire de la suppléance les trois jours restants car il sera à la toute fin des listes d’appel puisqu’au début de l’année, il était en charge pleine d’une classe.
Alors, devant l’inéluctable réalité, devant l’image redondante du beurre à mettre sur le pain à mettre sur la table à mettre dans l’appartement au loyer à payer, Prof Maudit a signé à 20h50, la main tremblante et les tempes brûlantes, le contrat le liant à un poste permanent choisi à la va-vite en 5 minutes.

Du 20 septembre 2006 au matin jusqu’au 21 septembre 2006 à midi
Le Général a fait des pieds et des mains pour obtenir une triangulation; l’échange d’un poste d’une école à une autre pour une durée d’un an. Elle aurait ainsi gardé Prof Maudit jusqu’à la fin de l’année scolaire. Peine perdue. (Il n’y a pas que les profs qui sont pieds et poings liés dans ce système de merde, sachez-le. Les directions sont souvent tout autant à plaindre.)

21 septembre 2006, en après-midi
Prof Maudit annonce à ses élèves qu’il les quitte pour une autre classe et que, dès demain, il ne sera plus là.

Si vous permettez, et comme ce billet est déjà assez dense, je me garderai une petite gêne concernant ce moment intime avec mes cocos. J’espère que ce calendrier a pu vous aider à saisir que les probabilités pour que toutes ces conditions non gagnantes se trouvent réunies étaient assez minces. Je devrais jouer à la loterie plus souvent!

20.9.06

Cochonneries

Il m’a fallu faire mes boîtes. Enfin, les refaire.

Pour être enseignant, c’est connu, il faut avoir trois choses : la passion (que certains appellent la vocation, terme que je refuse parce que c’est trop associé à l’ancien rôle religieux des écoles), le perfectionnisme et le matérialisme. Par matérialisme, j’entends ici l’accumulation monstre de toutes sortes choses qui nous semblent, à priori fort utile, mais qui s’avèrent en bout de ligne, complètement inutilisées.

Je traîne donc depuis 6 années, d’école en école, douze boîtes de stock que je considère «essentiel». Ajouté à cela des plantes, des paniers, des aquariums… Bref, j’ai besoin d’un bon samaritain avec une voiture à chaque fois, prêt à faire deux ou trois runs. Le temps étant compté entre mon imminent départ d’une école et ma toute aussi imminente arrivée dans l’autre, et ne pouvant abuser de la bonté des gens - même avec le chantage émotif auquel j’excelle - j’ai décidé de faire du ménage. Le gros ménage d’une nouvelle étape de vie. Repartir à neuf dans ce système pourri en me débarrassant de quelques-unes de ces boîtes-boulets.

Car je me suis aperçu que, sur douze caisses vides de papier à photocopieur pleines d’autres cossins, il n’y en avait que deux de libres. Et à voir les traces de tape sur chacune, probablement toujours les mêmes à chaque année. Autrement dit, je traîne depuis les débuts de ma carrière, dix cartons dont je ne connais ni le contenu, ni la possible utilité.

Shit!

Pourtant, si je l’ai gardé, ça devait bien avoir un usage quelconque, non? En fait, j’ai entreposé toutes ces cochonneries, non pas pour leur utilité concrète, mais pour leur probable utilité. C’est donc que je me suis attaché à des babioles en quantité industrielle et que j’ai abusé de mon temps ainsi que de celui des bonnes gens venues à ma rescousse chaque année, pour «transclasser», d’une école à une autre, une dompe de paperasses qui n’a jamais vu la lumière du jour?

Double Shit!

Parce que chaque année, au lieu de reprendre le même matériel, j’en ai réinventé du nouveau. Parle-moi d’un cave! À moins que je n’aie été un génie, restant à jour au plan pédagogique et ne sombrant pas ainsi dans l’apathie scolaire? C'était quand même cave de les charrier pendant tout ce temps! J’ai vidé lesdites boîtes, triant, reclassant, jetant, recyclant les contenus.

Au bout du compte, il me reste 5 cartons.

Yeah!

Maintenant, si je pouvais faire la même chose chez moi…

P.S. : Désolé si ce billet est moins punché, mais vous comprendrez qu’il me manque un peu de cœur à l’ouvrage.

19.9.06

Je ne trouve pas de mots assez forts pour ce titre

Lecteurs, soyez en deuil.

J’écris ces lignes le cœur gros, les yeux bouffis de chagrin et d’amertume, et les dents serrées avec une rage immense. Vous croyiez que le prof maudit que je suis avait atteint le paroxysme de la méchanceté? Et bien NON! Ce soir, mesdames et messieurs, on m’a tué. Et je reviens illico d’entre les morts pour hanter comme jamais le monde de l'enseignement!

Hier, on m’a convoqué à une assemblée de placement. On m’a fortement suggéré de me présenter puisqu’une vingtaine de postes menant à la permanence étaient offerts. J’ai raccroché le téléphone, interloqué. Comment, alors qu’il y a un nombre incroyable d’enseignants en surplus et que les classes ferment de-ci de-là, peut-il y avoir des postes? Des contrats, je comprendrais. Il y en a à chaque année. Mais des postes? J’ai alors passé la soirée à me demander quoi faire. Écouter le peu d’âme qui me restait et poursuivre avec mes élèves dans ce contrat sans avenir ou vendre le même restant à Satan pour une sécurité d’emploi douteuse (si on en croit La Presse)?

J’y ai pensé toute la journée. Et ce soir, devant les portes menant à l’abattoir, j’ai, comme depuis le tout début de mes armes en enseignement, écouté mon cœur. J’allais rester avec mes p’tits criss. J’allais leur donner mon 200%, même si cela voulait dire passer l’été dans l’incertitude à ne pas savoir où j’irais enseigner l’année suivante.

Mais les représentants du syndicat et de la commission scolaire m’attendaient avec des couteaux de boucherie.

Je vous passe les détails de la torture, des tractations étranges et incompréhensibles, de la façon honteuse et inhumaine dont ils m’ont servi la sauce du vous-n’y-pouvez-rien-c’est-dans-la-convention. Reste qu’ils m’ont acculé au pied du mur, le crochet sur la nuque et le moulin à viande en marche, prêt à me dévorer les tripes et le cœur. ET J’AI ÉTÉ OBLIGÉ D’ABANDONNER MES ÉLÈVES!

Je n’en voulais pas, de leur maudite permanence. Du salaire étalé sur les deux mois d’été. Des traitements différés. Des années sabbatiques. JE. N’EN. VOULAIS. PAS. Je laissais ça aux autres, à ceux derrière qui, comme ma grosse vache, manquent parfois d’ardeur au ventre et ne souhaitent que les avantages sociaux. Moi, je voulais juste ma passion et mon amour du métier. Et ça aussi, ils me l’ont volé.

J’ai pu rester digne jusqu’à la sortie. Mais une fois dehors, j’ai craqué. Les jambes ont flanché un peu plus loin dans le parc et j’ai braillé comme un veau, pestant et rageant contre le système. Car ceux qui vous diront que ce sont les jeunes qui poussent les enseignants hors de la profession sont des menteurs. Ce qui nous tue, c’est le putain de système.

Demain, je devrai annoncer à mes élèves que je les abandonne. Que j’ai failli à ma promesse d’être avec eux toute l’année. Et, diable! je n’ai jamais eu aussi peur. Peur de voir dans leurs yeux la déception et la détresse. Peur de voir dans leurs yeux MA déception et MA détresse. Ne pas flancher, ne pas craquer. Ensuite, il me faudra empaqueter toutes mes choses puisque je quitterai vendredi, pour entrer en poste dans ma nouvelle classe lundi. Et croyez-vous qu’on me donne un petit congé pour procéder à ce déménagement? qu’on m’offre une libération de tâche pour rencontrer l’enseignante de mon prochain groupe et discuter sur ses-mes élèves et voir où ils en sont? Ben voyons! Z’avez pas compris?

Je me vengerai.

18.9.06

Comment faire un gros plat d'une miette de pain

Ah! Mes amis! Comme j’en ai long à vous raconter. La rencontre de parents fut truculente d’anecdotes diverses, mon quotidien professoral est accompagné de son lot de paradoxes idiots et les médias me donnent du jus à profusion. Je ne sais plus par où commencer. J’ai l’impression que je devrais mettre en branle un second blog avec l’identité fictive d’un autre enseignant tordu. Toutefois, comme il faut toujours être d’actualité et qu’il faut critiquer la nouvelle une fois sur la tribune publique – et non le lendemain parce que vous êtes déjà out – je vous parlerai donc d’un article paru dans le Journal de Montréal.

Le midi, je lunche à l’extérieur de l’école. Déjà que j’endure ce bâtiment bruyant aux murs peints avec les couleurs en vente chez Sico il y a 20 ans… j’ai bien le droit de m’enfuir une heure, non? Bref, je dîne dans un petit resto pas plus excitant qu’il faut où on ne trouve que le «JdeM». Ça me change du Devoir et ça me permet souvent de comparer les nouvelles ou de tomber sur un article étonnant. Comme aujourd’hui.

Ce qui me sidère toujours de ce journal – je ne le soulignerai que rapidement puisque ce n’est pas le but de ce billet – c’est la façon dont on fait d’un rien, une montagne. En grosses lettres qui m’écorchent l’œil, je lis donc : Interdiction de jouer dehors. À côté, une photographie d'une cour d'école vue au travers d'une clôture. «Ça y est, que je me dis. Y’a un prof qui a pété sa coche! Il a collé le p’tit sacrament à sa chaise avec de la colle Pritt! À moins que ce ne soit Prof Malgré Tout qui a finalement utilisé son duct tape à d'autre fin que de vouloir taire la cloche. » Pantoute. C’est une mère qui s’énerve, journaliste en plus. Rien de mieux pour un discours digne de ceux que j’écris ici!

Bon, d’accord, elle est beaucoup moins acide que moi, Renée Laurin. Elle s’indigne en fait que l’école de sa progéniture refuse que les enfants se présentent dans la cour avant 8h30 parce que les enseignants ne peuvent assumer la surveillance dans la cour le matin (et le midi semble-t-il). Suite à la rencontre de parents de ladite école, ces derniers ont réussi à négocier 10 minutes le matin.

Je suis d’accord avec le fond de son article : on est devenu un peu parano. On s’inquiète de tout, de rien, et beaucoup plus qu’on ne le devrait. On est aussi beaucoup plus agressif quand ça fait pas notre petite affaire. Alors les institutions publiques n’ont d’autres choix que de se protéger contre les recours perfides à l’américaine. D’où les limites malheureusement imposées par le système. Reste que la marmaille moderne a bien changé et de telles mesures ne sont pas toujours superflues. Si des parents laissent aller leurs enfants jouer seuls dans la cour la fin de semaine, la conscience tranquille – comme ma mère l’a si souvent fait quand j’étais moi-même petit morveux – c’est une toute autre histoire quand 500 élèves foulent le bitume au même moment. À l’époque, ça jouait doucement à la marelle et au ballon-chasseur. Maintenant, ça se provoque à qui mieux-mieux, pour un regard de travers, un nouveau foulard plus joli que le sien ou une carte Pokémon ou Magic d’une hypothétique valeur inestimable. J’ai été témoin, comme prof, de conflits d’une rare violence pour des broutilles : des garçons qui se sautent à la gorge ou qui s’éclatent mutuellement la tête sur des murs de brique, des filles qui mordent leur best friend au sang ou qui leur arrachent la boucle d’oreille avec le lobe qui suit… Et je suis à mille lieux d’un milieu défavorisé, alors imaginez! En somme, nos enfants ne font que suivre le mouvement de masse : se scandaliser, crier haut et fort, et appuyé de bons coups de batte, pour des miettes.

Reste que l’affaire me surprend. Légalement, les institutions scolaires doivent assurer la surveillance des élèves au moins 5 minutes (bon, c’est minime, je l’avoue) aux entrées et sorties des classes. Mais rassurez-vous, Renée : certaines commissions scolaires ont imposé, cette année, les récréations en avant-midi et en après-midi. Pas de danger donc qu’une direction sans scrupule gobe du temps sur les périodes de délassement. Et puis consolez-vous, il y a pire. À mon école, on interdit les parents sur la cour. Parce que les maniaques, vous savez…