Journal de Prendre-le-Bord
Bon, je vous jure, c’est la dernière fois que j’en parle. Il va bien falloir que je finisse par passer par-dessus. Mais comme vous avez été plusieurs – par commentaires ou par courriels – à ne pas bien saisir comment on a pu me forcer, voici un calendrier des événements.
début juin 2006
Les parents et les élèves font pression sur Le Général (i.e. la directrice) afin que Prof Maudit puisse rester à l’école l’année suivante.
mi-juin 2006
Le Général informe Prof Maudit que Prof Bien Portante (i.e. nouvelle maman sur fin de congé de maternité) ne reviendra qu’à deux jours par semaine, soit 40% de la tâche. Pour prendre une chance de me garder à l’école, elle mettra Prof Bien portante à 20% dans la classe de Concubine Première (collègue et épouse spirituelle de votre très dévoué) et à 20% dans la classe de Sœur Marie Anne (autre collègue à vocation; et là, on peut vraiment parler de «vocation»!), c’est deux titulaires prenant un «4 jours/semaine». Le Général poursuit en expliquant à Prof Maudit qu’elle n’a pas à mettre les 20% séparément à l’affichage des contrats (i.e. l’abattoir) si elle les propose distinctement car il représente alors moins de 100 jours de travail, règle essentielle à la mise sous contrat. Elle les garde donc pour Prof Maudit et ne mettra que le 60% restant de la tâche de Prof Bien Portante sous contrat. Comme les enseignants à statut précaire cherchent idéalement une tâche pleine, si Prof Maudit est chanceux, il pourra mettre la main sur ledit contrat. En bout de ligne : 60% de Prof Bien Portante + [(20% de l’une + 20% de l’autre) <-> 40% de Prof Bien Portante] = 100%.
(Si ici vous êtes déjà perdu, pas la peine de continuer. Retenez seulement que c’était compliqué. Si vous tenez absolument à comprendre, faites comme je dis à mes élèves : «Explique-toi le avec un dessin.» Ça marche presque à tous les coups!)
fin juin 2006
Coup de théâtre à l’affichage. Grosse Vache lui pique son 60% chéri sous le nez. Dégoûté et abattu, Prof Maudit quitte sans prendre de contrat, en espérant que Le Général puisse faire quelque chose pour lui étant donné que Grosse Vache est en congé de maternité. Il faudra bien quelqu’un pour la remplacer, elle, en septembre.
début juillet 2006
Le Général communique avec Prof Maudit. C’est gagné! Elle peut lui offrir le contrat de remplacement, sans passer par l’affichage, puisque Grosse Vache prévoit revenir en classe au début de mars. 60% du temps d’enseignement entre septembre et mars cumulant moins de 100 jours de travail, Le Général est libre de choisir le suppléant de son choix. Ne reste qu’à souhaiter que Grosse Vache développe un lien fusionnel suffisamment intense avec son nouveau-né pour décider de ne pas revenir en classe les 4 mois restants.
24 août 2006
Rentrée des enseignants. Prof maudit est tout heureux.
29 août 2006
Rentrée des élèves. Prof Maudit, les parents et surtout les élèves, jubilent. On a préparé une fête pour Prof Maudit avec des ballons, un énorme gâteau et les élèves lui ont composé une chanson. (Quoi? J’invente? Pffff! Qu’ess’ vous en savez? …Bon Ok, d’abord. Z’étaient juste bien heureux. Content, là?)
7 septembre 2006
Prof Maudit signe ses premiers contrats à la commission scolaire. Le 20% de l’une et le 20% de l’autre, mais en échange dans le 40% de Prof Bien Portante.
18 septembre 2006
Prof Maudit est convoqué par la commission scolaire à l’affichage des postes permanents.
19 septembre 2006
Prof Maudit est présent et attend d’entrer dans l’abattoir. Il est là à 17h30 pour une convocation à 18h00. Il ne le sait pas encore, mais il attendra jusqu’à 20h15 pour qu’on fasse entrer le troupeau. En attendant, Prof Maudit discute avec d’autres bovidés et, après avoir dit régulièrement pendant deux heures à quelques bêtes indécises que «En éducation, il faut choisir avec son cœur», il se confirme sa position : il ne quittera pas son contrat.
début juin 2006
Les parents et les élèves font pression sur Le Général (i.e. la directrice) afin que Prof Maudit puisse rester à l’école l’année suivante.
mi-juin 2006
Le Général informe Prof Maudit que Prof Bien Portante (i.e. nouvelle maman sur fin de congé de maternité) ne reviendra qu’à deux jours par semaine, soit 40% de la tâche. Pour prendre une chance de me garder à l’école, elle mettra Prof Bien portante à 20% dans la classe de Concubine Première (collègue et épouse spirituelle de votre très dévoué) et à 20% dans la classe de Sœur Marie Anne (autre collègue à vocation; et là, on peut vraiment parler de «vocation»!), c’est deux titulaires prenant un «4 jours/semaine». Le Général poursuit en expliquant à Prof Maudit qu’elle n’a pas à mettre les 20% séparément à l’affichage des contrats (i.e. l’abattoir) si elle les propose distinctement car il représente alors moins de 100 jours de travail, règle essentielle à la mise sous contrat. Elle les garde donc pour Prof Maudit et ne mettra que le 60% restant de la tâche de Prof Bien Portante sous contrat. Comme les enseignants à statut précaire cherchent idéalement une tâche pleine, si Prof Maudit est chanceux, il pourra mettre la main sur ledit contrat. En bout de ligne : 60% de Prof Bien Portante + [(20% de l’une + 20% de l’autre) <-> 40% de Prof Bien Portante] = 100%.
(Si ici vous êtes déjà perdu, pas la peine de continuer. Retenez seulement que c’était compliqué. Si vous tenez absolument à comprendre, faites comme je dis à mes élèves : «Explique-toi le avec un dessin.» Ça marche presque à tous les coups!)
fin juin 2006
Coup de théâtre à l’affichage. Grosse Vache lui pique son 60% chéri sous le nez. Dégoûté et abattu, Prof Maudit quitte sans prendre de contrat, en espérant que Le Général puisse faire quelque chose pour lui étant donné que Grosse Vache est en congé de maternité. Il faudra bien quelqu’un pour la remplacer, elle, en septembre.
début juillet 2006
Le Général communique avec Prof Maudit. C’est gagné! Elle peut lui offrir le contrat de remplacement, sans passer par l’affichage, puisque Grosse Vache prévoit revenir en classe au début de mars. 60% du temps d’enseignement entre septembre et mars cumulant moins de 100 jours de travail, Le Général est libre de choisir le suppléant de son choix. Ne reste qu’à souhaiter que Grosse Vache développe un lien fusionnel suffisamment intense avec son nouveau-né pour décider de ne pas revenir en classe les 4 mois restants.
24 août 2006
Rentrée des enseignants. Prof maudit est tout heureux.
29 août 2006
Rentrée des élèves. Prof Maudit, les parents et surtout les élèves, jubilent. On a préparé une fête pour Prof Maudit avec des ballons, un énorme gâteau et les élèves lui ont composé une chanson. (Quoi? J’invente? Pffff! Qu’ess’ vous en savez? …Bon Ok, d’abord. Z’étaient juste bien heureux. Content, là?)
7 septembre 2006
Prof Maudit signe ses premiers contrats à la commission scolaire. Le 20% de l’une et le 20% de l’autre, mais en échange dans le 40% de Prof Bien Portante.
18 septembre 2006
Prof Maudit est convoqué par la commission scolaire à l’affichage des postes permanents.
19 septembre 2006
Prof Maudit est présent et attend d’entrer dans l’abattoir. Il est là à 17h30 pour une convocation à 18h00. Il ne le sait pas encore, mais il attendra jusqu’à 20h15 pour qu’on fasse entrer le troupeau. En attendant, Prof Maudit discute avec d’autres bovidés et, après avoir dit régulièrement pendant deux heures à quelques bêtes indécises que «En éducation, il faut choisir avec son cœur», il se confirme sa position : il ne quittera pas son contrat.
Dix minutes après que les futurs steaks soient entrés, Grosse Vache est appelée à la table de placement. Grosse Vache choisit un poste. Prof Maudit se trémousse. Car s’il comprend bien, comme Grosse Vache prend un poste permanent, elle libère le contrat actuel. Il pourrait donc finir l’année. À 20h40, Prof Maudit comprend qu’il n’a rien compris du tout.
Ainsi, et comme l’explique clairement Prof Malgré Tout, Prof Maudit n’est pas lié au contrat de remplacement du poste, mais bien au contrat de remplacement du remplacement du poste. Autrement dit, il remplace Grosse Vache peu importe où elle se trouve. Il doit donc quitter ses élèves et la suivre dans son poste choisi.
Prof Maudit commence à avoir chaud et fait pédaler son cerveau. Il pense avoir trouvé l’argument massue : comme il a déjà signé 40% du contrat, il ne peut la suivre dans une tâche permanente à 100% puisqu’un contrat signé, c’est du ciment de qualité.
Quizzical look de la Pédante Syndicale. Elle appelle à la rescousse Chien-de-Garde Patronal. Messes basses de bouchers, puis : effectivement, Prof Maudit est délié de Grosse Vache. (phew!)
Fier pet, Prof Maudit s’apprête à quitter sans prendre de poste. Le Général n’aura qu’à lui donner le 60%. Tut-tut-tut fait la Pédante Syndicale. Le 60% initial était de septembre à mars et comptait moins de 100 jours de travail. Or, comme Grosse Vache n’a plus ce contrat, le 60% est maintenant de septembre à juin et cumule plus de 100 jours de travail. Il doit donc être offert par ordre de liste prioritaire.
- Pas grave, qu’il répond, le Prof Maudit. Comme il est parmi les premiers et que c’est un 60%, il n’a qu’à prendre la même chance qu’il avait prise en juin. Comme tous les autres de la liste avant lui sont placés, on le lui proposera rapidement.
Devant sa mine heureuse, Chien-de-Garde Patronal ne se garde pas de lui noircir le tableau. Car si Prof Maudit refuse un poste permanent ce soir, il sera radié de la liste pour un an et ne sera donc pas appelé pour qu’on lui offre le 60%. Il ne se retrouvera donc qu’avec son 40% et peu de chance de faire de la suppléance les trois jours restants car il sera à la toute fin des listes d’appel puisqu’au début de l’année, il était en charge pleine d’une classe.
Alors, devant l’inéluctable réalité, devant l’image redondante du beurre à mettre sur le pain à mettre sur la table à mettre dans l’appartement au loyer à payer, Prof Maudit a signé à 20h50, la main tremblante et les tempes brûlantes, le contrat le liant à un poste permanent choisi à la va-vite en 5 minutes.
Du 20 septembre 2006 au matin jusqu’au 21 septembre 2006 à midi
Le Général a fait des pieds et des mains pour obtenir une triangulation; l’échange d’un poste d’une école à une autre pour une durée d’un an. Elle aurait ainsi gardé Prof Maudit jusqu’à la fin de l’année scolaire. Peine perdue. (Il n’y a pas que les profs qui sont pieds et poings liés dans ce système de merde, sachez-le. Les directions sont souvent tout autant à plaindre.)
21 septembre 2006, en après-midi
Prof Maudit annonce à ses élèves qu’il les quitte pour une autre classe et que, dès demain, il ne sera plus là.
Si vous permettez, et comme ce billet est déjà assez dense, je me garderai une petite gêne concernant ce moment intime avec mes cocos. J’espère que ce calendrier a pu vous aider à saisir que les probabilités pour que toutes ces conditions non gagnantes se trouvent réunies étaient assez minces. Je devrais jouer à la loterie plus souvent!
Du 20 septembre 2006 au matin jusqu’au 21 septembre 2006 à midi
Le Général a fait des pieds et des mains pour obtenir une triangulation; l’échange d’un poste d’une école à une autre pour une durée d’un an. Elle aurait ainsi gardé Prof Maudit jusqu’à la fin de l’année scolaire. Peine perdue. (Il n’y a pas que les profs qui sont pieds et poings liés dans ce système de merde, sachez-le. Les directions sont souvent tout autant à plaindre.)
21 septembre 2006, en après-midi
Prof Maudit annonce à ses élèves qu’il les quitte pour une autre classe et que, dès demain, il ne sera plus là.
Si vous permettez, et comme ce billet est déjà assez dense, je me garderai une petite gêne concernant ce moment intime avec mes cocos. J’espère que ce calendrier a pu vous aider à saisir que les probabilités pour que toutes ces conditions non gagnantes se trouvent réunies étaient assez minces. Je devrais jouer à la loterie plus souvent!