Les Confessions d'un Prof Maudit

20.11.06

Meet the parents - prise 2

Chers lectrices et lecteurs, ce soir je vous parle du parent pathogénique. D’abord, précisons que cette espèce se divise en deux sous-catégories : le pathogénique pitoyable et le pathogénique exécrable. Lequel est plus néfaste que l’autre? Je vous laisse le soin d’en juger après cette lecture. La principale caractéristique du parent pathogénique, qu’il soit pitoyable ou exécrable, réside dans cette incroyable et dérangeante capacité à croire que la réussite scolaire et la somme des apprentissages ainsi que le comportement relève de la génétique et non du milieu familial ou social. On peut reconnaître l’un ou l’autre à des remarques de ce genre :

«Faut qui contunusse à ben travailler! Ch’comprend pas par exemple qui soaye pas bon en frança. Moé, c’tait ma matière forte.» - pathogénique pitoyable

«C’est sûr qu’est forte en maths, ‘est comme sa mère; j’ai toujours eu la bosse des mathématiques!» - pathogénique exécrable

Les comportements de chacun, quoi que semblables, diffèrent souvent et les résultats, tout autant.

Ainsi, le parent pathogénique pitoyable vit dans l’illusion; son enfant n’a rien d’un premier de classe, même s'il le croit, le souhaite, le voudrait dur comme fer. C'est principalement le cas parce que, malheureusement et bien souvent malgré lui, il n’a pas eu le nécessaire pour bien stimuler son tout-petit. C’est un père ou une mère qui ne laisse jamais son enfant s’exprimer à la rencontre du bulletin, répondant toujours à sa place pour cacher l’odieux de la situation et son incapacité à y faire face. Bien que sa progéniture soit souvent en graves difficultés d’apprentissage (même si il «est donc bon en dessin pourtant! Pis à’ maison, y’ chante tous le temps. Pis y’écrit même plein d’histoires super bien construites. Faudrait que je vous apporte ça!», mais comme dirait ma mère : «Faudrait, ça a jamais accroché un cadre su’un mur!»), il ne vérifie jamais une leçon ou un devoir, refuse de signer toute autorisation menant à de l’aide concrète et ne met aucune des mesures du Plan d’interventions adaptées en place. Et ça, c'est si seulement il s’est présenté à une seule convocation pour signer le plan en question et discuter de la problématique. C’est le parent qui, après un an, change systématiquement son enfant d’école, se rassurant dans la «démonisation» de l’institution plutôt que de vouloir voir la triste vérité en face.

Le résultat est un enfant qu’on a envie d’arracher à ses parents avant qu’ils ne passent la porte après la remise du bulletin. Le sauver in extremis de ce gouffre, même si il y trouve un certain bonheur et qu’il est sûrement la plus belle réussite de ses parents, malgré les circonstances. Il restera un élève qui doutera longtemps et toujours. Qui lui ment? À la maison on l’encense et on lui dit qu’il n’a pas de problème. À l’école, on lui parle de ses difficultés et on lui donne des moyens. Parfois, il tend la main; il voudrait soudain apprendre, soudain faire un pas en avant. Mais cette crainte qui nous habite toute notre enfance, cette peur de décevoir et faire de la peine à nos parents, vient le hanter : «Mais comment as-tu pu le croire, LUI, plutôt que moi, TA MÈRE?» La nouvelle flamme s’éteint alors. Ils sont légion. Et leurs parents tout autant.

De son côté, le parent pathogénique exécrable surestime son enfant. Son fils est deuxième de classe, il voudrait qu’il soit premier. Sa fille est première de classe, il voudrait qu’on invente une nouvelle dénomination mathématique pour elle. L’enfant d’un pathogénique exécrable a été «surstimulé», voire épuisé depuis son enfance : violon, claquettes, ballet, plongeon, hockey, équitation, natation, flûte, peinture livres, livres et livres, jeux pédagogiques, leçons d’articulation, cours d’été, école du samedi, et j’en passe... souvent tous dans une même semaine! C’est un père ou une mère qui ne laisse jamais son enfant s’exprimer à la rencontre du bulletin, répondant toujours à sa place. Car même si son bambin est génétiquement aussi intelligent que lui, il n’en reste pas moins que personne d’autre que le géniteur ne saurait mieux le décrire. Même pas l’enfant lui-même. Ce parent est présent à chaque rencontre. Et quand il n’y en a pas, il en demande une. Tous les travaux sont signés et les devoirs sont toujours faits. Il va même jusqu’à corriger vos questions d’examen en les reformulant d’une façon qui lui semble beaucoup plus adéquate. Son enfant a un comportement désagréable? Impossible, il n’est pas comme ça à la maison et «j’étais pas de même non plus quand j’étais jeune.» Sa descendance fait une faute dans une analyse grammaticale? Il viendra vous obstiner pendant une heure pour vous démontrer que tel complément direct peut être un groupe facultatif. Le parent pathogénique exécrable répète à son enfant depuis son tout jeune âge combien il était bien «au privé», comment toute la famille est passée par là, relate constamment le bonheur de ses «années collège» et fait le détour pour passer devant ledit établissement chaque fois que c’est possible. Au secondaire, fiston y ira sans qu’on le consulte et sans se poser de questions (s’en est-il déjà posé?), même si la pédagogie du privé n’est pas celle qu’il lui faudrait.

Qu’en est-il de l’enfant? Souvent honteux quand papa ou maman l’encense sans raison valable, ce sentiment disparaît vite après deux ou trois années du même régime. Il devient vite hautain et prétentieux. Dans tout enseignement, il cherche la faille, l’erreur sur laquelle il peut vous piéger. Ou, de façon plus saugrenue, il la rapporte à ses parents pour que cette ombre d’erreur se transforme en grotesque plainte à la direction. Il est imbuvable, ridiculise sans arrêt les fautes des différents élèves et va jusqu’à traiter les élèves en difficulté de crétins ou de béotiens. Cet enfant ne veut jamais ce qui est bon pour lui, mais ce qu’il y a de meilleur. Quand on le recroise deux ans plus tard dans le corridor de l’école, on se demande encore pourquoi on a hésité à le kidnapper juste après une remise du bulletin, pour lui brasser la cage et lui montrer la vraie vie. Une fois, vous y étiez presque arrivé, en le gardant après l’école pour discuter. Il avait failli comprendre, était passé à deux doigts de l’illumination et de l’humilité. Mais la peur infantile, cette angoisse de décevoir et faire de la peine à nos parents, était venue le hanter : «Mais comment as-tu pu l’écouter, LUI, plutôt que moi, TON PÈRE?» Le sourire suffisant lui était revenu au visage. Ils sont moins nombreux que les premiers. Beaucoup plus dangereux toutefois.

Le plus triste dans tout ça, c’est qu’on arrive à en sauver que quelques-uns. Faute de moyens du système, faute de collaboration des parents, faute de notre manque de franchise. À la fin, cette réplique ignominieuse nous viendra en bouche : «Y’ tient pas du voisin!» Et, navrant, comme le parent il devient.