Les Confessions d'un Prof Maudit

18.10.06

Quand ça fait prout ent’ les deux oreilles

Vous savez quand on vous explique quelque chose et que vous ne comprenez rien? C’est souvent accompagné d’un regard qui ne trompe pas et qui exprime assez bien le «De kossé?» envahissant. Quand j’ai un élève dans cette situation, je dis : «Bon, toi, ça vient de t’faire prout dans ‘tête!» C’est du vent qui passe et en plus, il sent pas bon. Vite, remédier à ce vide nauséabond.

J’ai un élève assez champion dans cette catégorie. Pour les circonstances, je l’appellerai Ti-Pet. En fait, je l’appelle Ti-Pet tous les jours, mais ça n’a rien à voir avec ses capacités de compréhension (à priori). C’est surtout qu’il est minuscule et qu’il n’a pas la maturité scolaire pour être en 6e année; il fait des combats de vaisseaux spatiaux avec ses crayons, il est désorganisé comme pas possible, fait rarement ses devoirs et tout dans son comportement est à l’extrême opposé de ce qu’on serait en droit de s’attendre d’un pré-ado en puissance. Faute à la maman papoute? Maybe.

Toujours est-il qu’aujourd’hui, on faisait des maths…

Prof Maudit : De combien de carrés d’un cm² puis-je recouvrir cette forme?
La majorité : 16!
P.M. : Oui. Donc quelle est l’aire de ce quadrilatère?
Hyper Bol : Ben là! 16 cm².
P.M. : Exact. Maintenant, si je prends mon carré d’un cm² et que je le sépare ainsi…
(
Je fais une flèche et reproduis deux triangles isocèles se faisant face, formant ainsi un presque carré… pour bien souligner la distinction.)
P.M. : Quelle est la valeur en cm² de chacun de ces triangles?
In-need-of-attention (
shakant sa main comme un malade) : ½ cm²!
P.M. : Oui, ou…?
Quelques-uns : 0,5 cm².
P.M. : Super! Donc, si on regarde cette figure…
(Et je me lance dans l’élaboration d’une forme complexe au tableau, impliquant un certains nombres de ces triangles répartis.)
Ti-Pet : Ch’comprends pas.
P.M. :
Prout dans ta tête? (sourire) Qu’est-ce que tu comprends pas exactement?
Ti-Pet : L’affaire des triangles.
P.M. : Bon
(retour aux triangles). Tu vois bien que j’ai séparé mon carré en deux.
Ti-Pet : Oui.
P.M. : Deux parties égales.
(hochement de tête approbatif) Chaque partie vaut ½ cm² ou 0,5. Si j’additionne mes demis ensemble, j’obtiens combien de carrés?
Ti-Pet : Deux.
P.M. : Ok. On va oublier le côté numérique. Prends juste les deux triangles et colle-les ensemble. Combien de carrés ça te donne?
Ti-Pet : Ben… deux.
(À ce moment, les autres élèves commencent à se lancer des regards. Je dois faire vite pour qu’il clique au plus criss et que mes pré-ados n’en profitent pas pour lui manger la laine sur le dos. Pour être certain, je lance des regards empreints de vitriol à certains en guise de sérieux avertissements.)
P.M. : Ti-Pet, je prends cette feuille de papier et (crshhh!) je la déchire en deux. J’ai combien de moitiés de feuille?
Ti-Pet : Deux.
P.M. : Si je les recolle ensemble, ça me donne combien de feuilles?
Ti-Pet : Deux.
(Pendant un instant, je me demande s’il me niaise. Mais le prout est encore présent dans ses yeux. Il essaie. Il force tellement qu’il va finir par me faire un prout venu d’ailleurs. C'est alors le moment de l’exemple extrême yet rigolo. Tactique : ridiculiser le thème pour alléger la difficulté et calmer les autres.)
P.M. : Disons que je me coupe la main.
(rires)
Ti-Pet : Ça pisse le sang!
P.M. : Mets-en,
facque faut recoudre, et vite! Elle est coupé en deux, en son centre, pour faire deux parties égales, deux moitiés… combien de moitiés?
Ti-Pet : Deux.
P.M. : Yes! Je suis pas chirurgien. Alors je prends ma machine à coudre pour remettre le tout en état.
(rires, dans certains cas proches du débile profond) Je prends mes deux moitiés et je les couds ensemble. Et mes deux moitiés de main font maintenant…
Ti-Pet : Deux mains.
(Les rires stoppent net. Comme le pédagogue refuse de s’avouer vaincu, mais que le démon prend possession de mon esprit, je deviens plus abrasif, signe que t’es-mieux-de-l’avoir-cette-fois-où-je-te-wedge-en-public.)
P.M. : Ti-Pet, je te scie en deux. J’ai deux moitiés de toi. Si je remets les moitiés ensemble, combien j’ai de Ti-Pet?
Ti-Pet : Franchement, juste un!
P.M. : BOOOOOON!
(Je passe outre le toupet qu’il a eu de me dire «franchement».) Alors si je prends les deux triangles qui sont deux moitiés d’un carré, ça donne combien de carrés?
Ti-Pet : Deux.

Je lui ai sacré une période de récupération dans les dents pour lundi prochain et je les ai tous mis en lecture 15 minutes pour changer le mal de place.

En m’assoyant à ma place, j’en ai lâché un gros qui sentait pas la rose. Heureusement que personne n’a passé de commentaires. J’aurais mis la faute sur Ti-Pet.

17.10.06

Le réconfort on the side d’un liquide froid

Lu sur le gobelet d’un tchaï latte glacé de chez Starbucks (oui, oui, je sais… mais il est bon, que voulez-vous!) :

Selon moi n° 148
«Les bons enseignants devraient gagner autant que les médecins et les avocats d’entreprise. Je m’inquiète de ce qui va arriver à notre économie et à notre démocratie si nous ne commençons pas à prendre le travail des enseignants au sérieux.»
- Ninive Clements Calegari

J’sais pas c’est qui, mais j’ai découvert en fouinant qu’elle a co-écrit Teachers have it easy: the big sacrifices and small salaries of America’s teachers. J’imagine bien des gens à qui je conseillerais ce livre. Et vous?

15.10.06

Digestion du personnel

Vendredi dernier, j’ai dû faire une suppléance d’urgence.

- Mais, prof maudit, qu’est-ce qu’une suppléance d’urgence?

Au cours d’une semaine de travail, les enseignants au primaire disposent d’un certain nombre de «périodes libres». Ces périodes correspondent aux moments où les élèves sont en cours avec un spécialiste, comme en arts plastiques ou en éducation physique par exemple. Dans une majorité des cas, les enseignants utilisent ce temps libre pour y répartir une portion du «TP» ou «Travail personnel». Le travail personnel, c’est les 5 petites heures que le gouvernement nous reconnaît comme nécessaires et suffisantes pour faire notre planification et nos corrections (…). Mais ça, c’est un autre sujet que je traiterai bien assez tôt. Dans une minorité des cas, il arrive qu’un enseignant, qui a une période libre le matin à la première heure ou l’après-midi à la dernière, répartissent son TP autrement pour arriver plus tard ou quitter plus tôt.

- Oui, mais c’est quoi le rapport avec la suppléance d’urgence?

J’y arrive. Il y a environ 5 ans, au moment où les postes se libéraient dans les écoles et que les jeunes bachelières comblaient systématiquement les places de leurs aïeules libérées du fonctionnariat, il y a eu une pénurie de suppléants. Pour contrer le phénomène et assurer une présence adulte dans les classes en pareilles circonstances, la commission scolaire a mis sur pied le concept de suppléance d’urgence. Chaque enseignant, dans un horaire établi par la direction, devait être disponible lors d’une de ses périodes libres pour pallier à une éventuelle absence non comblée. L’heure supplémentaire – la seule possible dans tout le système de paie – était rémunérée. Sûrement une entente étrange avec le syndicat dont, encore une fois, nous n’avons jamais entendu parler…

Je suis le chanceux, je l’avoue, qui a hérité d’une période libre le vendredi à la dernière heure. Je peux donc quitter une heure plus tôt, batifoler dans les rues métropolitaines, alors que mes élèves tentent de transformer en musique ces sons discordants qui s’échappent de leur flûte à bec (sorry Prof Malgré Tout!).

Évidemment, plus on se pète les bretelles, plus il y a quelqu’un pour vous gâcher votre fun. On m’a donc mis cette période en suppléance d’urgence. Je ne m’inquiète pas outre mesure : la pénurie de suppléants s’étant transformée en surplus, je suis safe. Pourtant, au moment où je passe devant le secrétariat pour quitter l’école et aller me tchiper la fraise à la sangria…

Sweet Secrétaire : Prof maudit! T’as une suppléance d’urgence!
Moi : Ha ha ha! Elle est bien bonne! À lundi!
Elle : Euh, no-non. T’as une suppléance d’urgence en 2e année A.
Moi : …?
Elle : Il n’y a pas de suppléant depuis ce matin.
Moi : Ben voyons?
Elle
(haussant les épaules avec un regard aussi interloqué que le mien) : Le réseau m’a dit qu’il en manquait 20 aujourd’hui.

J’ai fait une face de baboune digne de mes élèves et je suis allé faire des diagrammes de Venne avec les morveux de 7 ans qui sentent la sueur sucrée après le cours d’éduc.

Ne croyez pas que je rechigne parce qu’on me pète ma balloune. Dans les faits, même si je n’ai placé aucun TP à cet endroit, je quitte rarement l’école 15 minutes avant la cloche régulière. Mais 20. 20! Il en manque 20 dans le réseau! C’est quoi cette gestion de merde? Ils sont plus de 450 sur la liste prioritaire à attendre un contrat! Et ça, ça exclue tous les autres enseignants non répertoriés sur la liste (car il faut avoir fait un contrat de remplacement d’au minimum 21 jours et avoir eu au moins deux évaluations positives pour être sur cette fichue liste) qui sont dans les banques téléphoniques de suppléants de la commission scolaire. Si on considère en plus qu’il y a, au bas mot, 600 diplômés au baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire qui sont sur le marché depuis avril dernier… Peut-on me dire où est-ce qu’on a chié tout ce monde-là? On ne me fera pas croire qu’un vendredi d’octobre, où c’est même pas avantageux de tomber «faussement» malade pour allonger un congé déjà existant, que plus de 500 profs au primaire et au secondaire ont callé off sur l’île de Montréal!

Y’a-tu que’qu’chose de bien géré en éducation?