Les Confessions d'un Prof Maudit

21.8.06

Les vaches ne sont pas toutes laitières (il y en a aussi qui sont enseignantes!)

Vous ai-je parlé de Grosse Vache?

(Non, sûrement pas, épais! T'écris depuis quelques jours à peine!)

Et bien je vous en parle, car elle sera souvent présente au cours de l'année, Grosse Vache. Ce ruminant féminin est une jeune dame (j'aurais préféré une vieille peau, mais on ne choisit pas ses ennemis), nouvellement maman, que j'ai croisée à l'affichage des postes. En fait, «affichage des postes» est un terme poli, utilisé par le syndicat et la commission scolaire, pour désigner un abattoir. Je reviendrai sur ce sujet angoissant en juin 2007, alors que la date fatidique de cet encan bovin sera connue. Pour l'instant, tout ce qu'il faut retenir, c'est qu'elle est devenue mon ennemie à cet endroit et que son surnom est inconsciemment lié à cette expérience.

Bref, nous sommes à l'affichage. Pourquoi y suis-je? Parce que je suis un bouche-trou ou, dans le langage plus chic des hautes instances, un «enseignant à statut précaire». Comme toutes les bêtes entassées dans la salle, j'attends avec angoisse qu'on nomme mon numéro pour savoir à quel cheptel j'appartiendrai l'an prochain. On m'appelle enfin et je me rue vers l'avant, dans l'enclos d'attente, en compagnie de cinq autres victimes de la liste prioritaire.

Le seul avantage d'être des humains plutôt que des bovidés, c'est que nous pouvons choisir (dans une certaine limite) le lieu de notre calvaire à venir. Dans mon cas, je sais tout à fait où je veux aller. Je suis dans les premiers appelés, j'ai toutes les chances de mon côté. Sauf que j'ai bien appris, avec le temps, que la chance ne suffit pas. Il faut aussi faire avec l'hypocrisie et les fausses minauderies des 500 autres personnes présentes. D'accord, ce ne sont pas toutes des vaches, moi le premier (je suis un boeuf, hello!). Quand une copine me susurre à l'oreille que le contrat #127 l'intéresse et qu'elle est trois ou quatre noms derrière le mien sur la liste, je suis bon prince! Je ne vais pas le lui piquer, même si c'est le seul contrat restant qui vaut la peine. Appelez ça de l'abnégation, de l'éthique, de la morale ou de la stupidité, j'm'en fiche! Reste que, malgré les rares exceptions, dans ce troupeau, les têtes sans scrupules ont la majorité.

Je suis donc installé, le coeur (si, si, j'en ai un!) battant à tout rompre jusque dans mes tempes. J'ai chaud, il y a trop de bruits (les meuglements des steaks en devenir) et j'ai les jambes molles. La jeune femme à côté de moi a un bébé dans ses bras, inconscient du drame que vit sa mère. Je souris à la maman, offrant le peu de soutien moral que je peux fournir à autrui dans l'actuelle situation. Elle ne répond pas à mon sourire, que je dirige alors vers son bambin, beaucoup plus réceptif. Mes yeux se posent alors sur la main qui supporte bébé et qui tient un papier, couvert de nombres divers dont un, entouré de multiples cercles concentriques fluorescents. Le numéro de mon contrat. Ma respiration se fait difficile, j'ai le coeur dans le gorge et le sel des larmes proches qui m'irrite les yeux. Détrompez-vous: je ne suis pas ému, je suis en rage. Mais plutôt que de l'encorner sauvagement et de déchiqueter son corps dans un Stampede solo endiablé, je choisis de converser. Il est impensable de parler à autrui quelques pas avant le marquage au fer blanc, mais je ne suis pas à un sacrilège près.

Moi (doucereux) : Excuse-moi, je vois que tu as choisi le numéro-un-tel...
Elle (Arid extra-sec) : Oui.
Moi (faussement rassurant) : Tu vas voir, c'est une belle école. J'y ai passé la dernière année.
Elle (faussement intéressée) : Ah oui? De toute façon, je n'y serai même pas.
Moi (???) : ???
Elle : Ben oui, je suis en congé de maternité. Je le prends pour qu'on me paie, parce qu'il faut que je sois attribuée à un contrat pour avoir mon salaire, mais je ne serai pas présente.
Moi (revenant à la charge, plein d'espoir) : Écoute, je t'explique : ce contrat, c'est pour la même classe que j'avais cette année. Ce seront les mêmes élèves, et j'aurais bien aimé poursuivre avec eux ce qui a été commencé. Je sais qu'eux, l'apprécieront beaucoup aussi. Alors comme tu ne seras pas là de toute façon, peut-être pourrais-tu choisir un autre contrat?
Elle (retour Arid ultra-supra-extra-sec, plus sourire hypocrite au cube) : Non, je suis désolée.

Elle a effectivement pris le contrat. Je l'aurais tuée, tirée avec un gros calibre, comme une vache folle.

Par un heureux concours de circonstances, je serai malgré tout avec mes élèves cette année. Je la remplace dans son remplacement. Mais, comme toute enseignante en congé de maternité, elle peut décider de réintégrer son contrat à tout moment. N'est-il besoin de vous dire que je vais cacher une winchester en-dessous de mon bureau.

20 Comments:

  • Wah.... génial... quelle peau de vache effectivement.
    Il y a elles, et celles qui "se décident pas". Lorsque j'ai été appelée à la table depuis l'enclos, celle juste avant moi n'arrivait pas à se décider. Elle n'avait rien regardé avant, posait des questions sur les écoles, changeait d'idées toutes les secondes, cherchait la moins pire école. Elle a même envisagé de prendre le poste que je convoitais (alors là je l'aurait zigouillée) à la 15e minute de tergiversations. Sueurs froides, regard en coin à la tite madame de la CS qui savait déjà mon choix, finalement après 30 minutes....... Tadam... elle a fini d'éplucher les numéros qu'elle avait pas mis hors service pis a choisi ce qu'elle avait vu en premier. Misères!
    Un chance que c'était pas le mien, pcq grrr... c'est pas beau une bagarre de filles il paraît.
    Sur ce, vive le bingo, et je te souhaite qu'elle fasse tout un post-partum (hon la pas fine)!
    Une autre BTU qui s'est déjà fait "jeter" par le retour de la prof régulière à 7 jours de la fin des classes.

    By Blogger Dobby, at 21.8.06  

  • Merde, mais y'ont vraiment pas de professionnalisme ni de coeur. C'est vraiment un abattoir, chez vous.

    By Blogger Caroline, at 22.8.06  

  • Quelle horreur ! Je trouve que c'est une des pires expériences de la vie, être en face de quelqun qui a un coeur plus sec qu'une biscotte (Arid extra sec hahaha wach, c'est encore mieux, c'est plus chimique)et pire, qui remporte sur vous.

    Dans une winchester, il parraît que le gros sel fait une job excellente :)

    Merci Caro d'avoir mis le lien vers ce blog. Je sens qu'on va bien se marrer lol.

    By Blogger Annie-Claudine, at 22.8.06  

  • à Dobby: Je compatis tout à fait ta situation. D'autant plus que les profs indécises, particulièrement au primaire, sont légion. J'ai parfois l'impression que c'est pour ça que les choses ne bougent pas assez.

    à Caroline: Attends! Si je te racontais mes précédentes séances d'affichage, c'est tout aussi désastreux. Pas damné pour rien, le mec!

    à Annie-Claudine: Alors du gros sel ce sera, je m'en commande un chargement. Le seul hic, c'est que les suppôts de satan dans mon genre, le sel, c'est pas trop bon pour la santé!

    By Blogger le Prof Maudit, at 22.8.06  

  • Prof maudit... Ya ben des choses qui devraient changer. Mais ça ne changeras que le jour où tous les profs seront capables de se mettre la tête sur le billot en même temps. Je suis naïve mais le jour où tous démissionneront.... ils vont avoir l'air fins les bonzes de l'éducâtion. Pour ce qu'il en reste certains jours de l'éducâtion... Une chance que j'aime ça envers et contre tout.

    By Blogger Dobby, at 22.8.06  

  • J'ai hâte que les classes commencent, ne serait-ce que pour lire la suite des aventures du prof maudit ;-)

    By Blogger French Lily, at 22.8.06  

  • Argh! Argh! Argh! La maudite!

    Contente que tu retrouves ton groupe malgré tout...

    By Anonymous Anonyme, at 22.8.06  

  • Hourra! Un ami méchant!

    ;-P

    By Blogger Une Peste!, at 22.8.06  

  • Salut,

    Un prof qui écrit aussi bien... aucuns doutes possibles, tu as vraiment vendu ton âme au diable!

    C'est anti-cool ce que la rumineuse t'a fait à l'affichage. Une question me trotte quand même par la tête : tu n'as pas pris de contrat pour pouvoir avoir sa classe pendant le congé maternité et ainsi revoir tes élèves de l'an dernier? Si oui, c'est clair que tu es attaché aux enfants et que toutes les tortures infligées le seront dans leur plus grand intérêt...
    Qui aime bien, châtie bien.

    J'ai bien hâte de lire la suite.

    By Blogger Prof Malgré Tout, at 22.8.06  

  • à frenchlily, mère indigne et Catherine: Merci, merci! J'espère bien que vous viendrez souvent rigoler ici comme je rigole chez vous. :)

    à prof malgré tout: Effectivement, je n'ai pas pris de contrat à l'affichage, après le coup de cochon de Grosse vache. J'ai pris le risque.

    By Blogger le Prof Maudit, at 22.8.06  

  • Hum... si tu restes dans la ménagerie Prof Maudit, on va s'amuser solide!
    Et t'as bien fait de ne rien prendre, pour être avec ces moukmouks que tu aimes bien châtier. C'est pas pour rien que je voulais la zigouiller l'indécise: le poste que je convoitais était le même que celui que je venais de terminer, à la différence que j'aurai la génération suivante et mes ti-pous de l'an passé me salueront joyeusement depuis la cour. C'est qu'on les aime...
    Hey je savais qu'il devait y avoir quelques plumes autour de tes cornes!

    By Blogger Dobby, at 22.8.06  

  • Euh, ben reste toujours l'option de l'inséminer artificiellement ou naturellement avant la fin de son congé... Allez, on se retrousse les culottes ou on sort les pages jaunes!

    By Anonymous Anonyme, at 23.8.06  

  • Moi je suis déjà attachée à votre grosse vache. J'aime les ruminants comme Chapleau aimait Chrétien. Ses meilleures caricatures étaient inspirées par le p'tit gars de Shawi.

    Que ferions nous sans eux?! Courage!

    By Anonymous Anonyme, at 24.8.06  

  • J'avais aussi une grosse vache à l'école où je remplaçais l'an dernier, elle meuglait dans un ton un peu différent, mais oui, c'était en effet une grosse vache :)
    courage!

    By Anonymous Anonyme, at 25.8.06  

  • Je suis comme French Lily.

    Tarzile

    By Anonymous Anonyme, at 27.8.06  

  • Je veux suivre tes mésaventures dans ta classe.

    T.

    By Anonymous Anonyme, at 27.8.06  

  • Franchement je suis sidérée!! Que tu la traites de vache c'est une chose, mais que tu fantasmes de la tirer a la carabine, c'est malade. Je ne peux pas croire que tu passes tes journées avec des adolescents , quand on sait combien ils sont influençables. Fais-toi soigner ça presse. Apres ça on s'étonne qu'un psychopathe entre dans une école et tire sur les filles! ça serait pas un de tes éleves par hasard??

    By Anonymous Anonyme, at 4.10.06  

  • http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1335

    A lire.

    By Anonymous Anonyme, at 8.10.06  

  • @avant-dernier anonyme:

    Euh...Ouvre ton dictionnaire et cherche le mot:«ironie», puis relis le billet. Ça soulagera sans doute ton angoisse de savoir qu'il ne pensait pas à lui tirer dessus poudevrai....

    By Anonymous Anonyme, at 19.10.06  

  • Ouf, juste de lire la description de ce que l'on appelle «affectueusement» le repêchage, dans mon ti coin du Québec, j'en ai des sueurs froides, les mains moites et le coeur qui bât la chamade !! On a choisi le plus beau métier du monde, parait-il...

    By Anonymous Anonyme, at 27.5.07  

Publier un commentaire

<< Home