Lire à tout prix?
Pas étonnant après que certains de nos élèves ne veulent plus rien savoir de lire. Ils en sont écoeurés : É-COEU-RÉS! Je les comprends donc!
D’abord, il est essentiel de faire la différence entre SAVOIR lire et AIMER lire. Deux choses très différentes. On peut savoir lire et ne pas aimer lire. À preuve nos librairies qui sont loin d’être millionnaires. On peut également aimer lire sans savoir lire; rappelez-vous le nombre d’enfants que vous avez vu à scruter un volume des heures durant en épiant les images, d’autres lisant – peluche sous le bras et conte en main – une histoire ne respectant aucunement le texte, d’autres encore décodant le livre à l’envers, sérieux comme de petits papes.
Ne nous le cachons pas: même s’il est considéré comme sacrilège dans notre société bien pensante de le dire, aimer lire n’est pas essentiel à la survie. Alors que ne pas savoir lire… Certes, vous pouvez vivre tout en étant analphabète, mais entendons-nous que vous allez en baver dans certaines situations et en vivre d’autres où vous ne vous sentirez pas au meilleur de votre estime personnelle. Parlez-en à Jacques Demers!
C’est pour ça qu’il est important de faire cette nuance dans l’éducation et en enseignement, soit à la maison comme à l’école. Sinon, à taper toujours sur le même clou… Si l’enfant est comme du bois, ça va. Mais souvent, on a plus affaire à du béton. Et là, le clou se tord.
Donc, comment faire pour stimuler parallèlement le besoin de lire et le goût de lire? Étant un grand aimant de la littérature et un fan inconditionnel de littérature jeunesse, c’est toujours un crève-cœur d’avoir un ou des élèves qui n’aiment pas lire. J’essaie le plus possible de respecter alors ce choix et de m’orienter sur le besoin de lire, tout en cherchant des pistes pour stimuler le goût de lire en cours de route. Mes trucs ne sont pas infaillibles, mais s’ils peuvent vous donner un coup de pouce à vous comme à votre enfant ou votre élève, alors ce sera déjà pas mal, non?
Le besoin de lire (ou lire pour répondre à ses besoins, si vous préférez, car on peut avoir «besoin» de lire quand on a le «goût» de lire…) passe d’abord et avant tout par le contact avec le quotidien. Pour que l’enfant réalise à quel point lire est essentiel dans la vie, il doit être mis dans des situations concrètes.
À la maison, les pistes sont multiples. Passer par un mode d’emploi est un excellent exemple même si, au début, vous devrez accepter que votre enfant vive une frustration (pas facile pour le parent papoute!). Vous offrez un nouveau jeu de société à votre enfant? Mettez-le en charge de lire, comprendre les règlements et les expliquer. Votre petite fille veut vous aider dans une recette? Sa tâche sera de vous lire les ingrédients et les étapes. Votre bambin veut faire un bricolage qu’il a vu dans un livre? Qu’il lise la liste du matériel et accompagnez-le dans la lecture des étapes. Dans chacune de ces situations, vous pouvez ponctuer de «Je n’ai pas bien compris ce bout-là… peux-tu me l’expliquer?» La liste d’épicerie est aussi un bon moyen. Une fois au supermarché, mettez votre enfant en charge de quelques articles. Donnez-lui, par écrit, une petite liste où vous aurez détaillé les articles : de la crème 15% pour la cuisson de la marque XYZ (250 ml), une boîte de craquelins de la marque XYZ mais sans gras trans, une boîte de thon pâle émietté dans l’eau, etc. Et hop! Vous le laissez partir à la chasse. Vous pouvez le stimuler en lui précisant que s’il a exactement les articles demandés, il pourra choisir un article de son choix à mettre dans le panier. En général, c’est assez plaisant.
Pour ce qui est des situations d’enseignement, préparez des exercices basés sur de véritables modes d’emploi, recettes ou instructions de jeux. On peut ainsi poser des questions concrètes : comment un joueur peut-il échanger son argent? quels sont les ingrédients secs dans cette recette? comment puis-je programmer un enregistrement sur mon magnétoscope? (Tiens! Ce serait bon pour ma mère ça…) Je donne des exercices de ce genre au moins deux fois par année et les élèves apprécient beaucoup.
Et le goût de lire? À la maison, allez-y petit à petit. Si vous achetez trois romans d’un coup pour votre enfant, sans nuancer les genres en plus, vos chances de succès sont minces. Variez les genres : aventure, policier, science-fiction, fait vécu, etc. Si votre enfant n’aime pas, ne l’obligez pas à poursuivre et, surtout, attendez quelques temps avant de proposer un autre roman d’un style nouveau. Vous pouvez aussi passer un pacte : lis les deux premiers chapitres et, si tu n’aimes pas, on essaiera autre chose. Souvent, il finira par le lire au complet. Vous pouvez aussi prêcher par l’exemple en créant un «moment de lecture», un temps de la journée (le week-end par exemple) où tout le monde lit : papa, maman, frères et sœurs. Ce moment devrait devenir aussi sacro-saint que le cours de piano ou l’entraînement de soccer. Rendez le tout agréable; un petit chocolat chaud, un coussin choisi et acheté pour chaque enfant spécialement pour ce moment, et le tour est joué! Entre ça et se lever à 5h30 le matin pour aller à la patinoire…
Pour l’école, les mêmes trucs s’appliquent. La valse des genres, le pacte des chapitres, montrer l’exemple sont de mises. Si vous avez de la place pour un coin lecture confortable et stimulant, encore mieux! Je vous suggère aussi le cercle de lecture; en équipe, les enfants lisent le même livre et partagent, une fois par semaine, leurs impressions tout en remplissant des fiches littéraires. Votre conseiller pédagogique doit être en mesure de vous trouver certaines informations et documents sur le sujet, et votre direction devrait être assez ouverte d'esprit (Cross your fingers!) pour un achat de romans vu sous cet angle. Assurez-vous d’avoir des livres de différents genres et pour différents niveaux de lecteurs. Et n’ayez pas peur de refuser à un élève tel ou tel roman parce qu’il est un lecteur débutant. Ils sont, en général, assez honnêtes pour l’avouer et se l’avouer. Il ne pourra que vous être redevable ensuite lorsque, graduellement, il deviendra meilleur lecteur et pourra attaquer des volumes plus complexes.
En somme, dans le besoin comme dans le goût de lire, soyez patient. Si savoir lire est là, aimer lire n’est peut-être pas très loin. C’est souvent une question de rythme et de temps.
P.S. : Je pense que c’est le billet le plus pédagogique que j’ai jamais écrit. J’espère que ça vous a pas trop fait chier!
P.P.S. : Désolé pour le silence radio. Mais vous savez, je vous en ai déjà parlé, les bulletins…